En
réalité, l'école "Normale" (du moins celle d'Aix) n'avait pas vocation à former des institutrices; rares étaient les élèves qui avaient vraiment la vocation voire le désir de le devenir. Elle recrutait après concours des jeunes filles démunies et bosseuses, parfois des cas sociaux, dont les familles ne
pouvaient assumer la scolarité au delà du brevet (après la troisième).. qui, si elles avaient été reçues, se trouvaient
emprisonnées pour trois ans (de 15 à 18 ans) jusqu'au baccalauréat.. (un exemple de notre total isolement, nous avons appris la mort de Kennedy un jour après.) Ensuite, il fallait payer l'addition de tous ces repas (excellents certes) gratuits: elles étaient logiquement contraintes de devenir institutrices
toute leur vie, qu'elles le veuillent ou non... ayant en quelque sorte été achetées par l'Institution
qui les avait nourries, logées et instruites en lieu et place de leurs leurs parents. Jusque là, le deal est quasi normal même s'il confine à un abus de situation (un enfant n'ayant pas le droit de donner son assentiment à un tel marché, les parents qui s'engageaient à leur place disposaient donc d'eux comme des propriétaires d'animaux, ce qui est un peu limite*.) Mais le pire était qu'elles étaient ensuite interdites d'étudier à l'Université, quels que soient leurs résultats. C'était une sorte
d'esclavage infantile tout à fait toléré bien que, à y regarder de
près, illégal. "Vous ne vous appartenez plus à présent, vous appartenez à
l'Education Nationale et vous n'avez donc pas le droit de tomber
malades ou de faillir" nous avait dit la prof de math la première semaine,
ulcérée de nous voir assises sur une haute balustre ventée. Peu
après je tentai de me suicider. Juste pour montrer que j'étais libre.
C'est ainsi que je parvins à m'échapper de cette prison... comme
seulement une sur 70 détenues que nous étions.
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Dans ces établissements, les filles étaient en général issues de ce que l'on appelait les "troisièmes spéciales" des Cours "Complémentaires" (maintenant dits "collèges" ou CEG); après la troisième "normale" et le brevet, au lieu d'aller au lycée en seconde, elles préparaient pendant un an le concours... qu'il leur fallait impérativement obtenir, sinon tout était perdu, les "spéciales" ne tenant en aucun cas lieu de seconde. Rares étaient celles provenant de lycées ; dans la promo où je fus brièvement, j'étais la seule. Une telle origine était assez mal vue aussi bien des filles que de certains profs "maison", une anormale bifurcation (souvent relié à des problèmes familiaux graves et inattendus, ce qui était mon cas) d'un cursus qui devait conduire au bac les élèves de milieu bourgeois ou assimilé... Nous prenions la place de celles qui l'auraient davantage mérité.. et, pire encore (pour les profs maison) démontrions l'inutilité des "spéciales" auxquelles elles tenaient tant, donc la supériorité des lycées (réelle, mais sous omerta.) Ce fut mon cas.
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Dans ces établissements, les filles étaient en général issues de ce que l'on appelait les "troisièmes spéciales" des Cours "Complémentaires" (maintenant dits "collèges" ou CEG); après la troisième "normale" et le brevet, au lieu d'aller au lycée en seconde, elles préparaient pendant un an le concours... qu'il leur fallait impérativement obtenir, sinon tout était perdu, les "spéciales" ne tenant en aucun cas lieu de seconde. Rares étaient celles provenant de lycées ; dans la promo où je fus brièvement, j'étais la seule. Une telle origine était assez mal vue aussi bien des filles que de certains profs "maison", une anormale bifurcation (souvent relié à des problèmes familiaux graves et inattendus, ce qui était mon cas) d'un cursus qui devait conduire au bac les élèves de milieu bourgeois ou assimilé... Nous prenions la place de celles qui l'auraient davantage mérité.. et, pire encore (pour les profs maison) démontrions l'inutilité des "spéciales" auxquelles elles tenaient tant, donc la supériorité des lycées (réelle, mais sous omerta.) Ce fut mon cas.
*Mes parents par exemple, dont la situation matérielle était précaire (du moins le redoutaient-ils, bien que très vite ce ne fut plus le cas) refusèrent que je démissionne : mon admission imprévisible les ayant soulagés d'un grand poids, plus question pour eux de le ré endosser. J'étais ainsi assurée d'avoir un travail sûr, une chance rare dans la conjoncture etc etc.. Je ne pus jamais faire entendre ma voix, de quelque manière que je m'y pris, même après avoir clamé partout, jusqu'à la directrice, qu'en aucun cas je ne voulais devenir institutrice. Hypocrisie banale "ce n'est pas grave, vous changerez, la vocation, cela s'acquiert" (!) Après ma tentative de suicide, un appel au secours mais j'étais groggy, ce fut la débandade, l'école refusant d'en assumer la responsabilité finalement me paya une thérapie qui me remit d'aplomb en deux séances et surtout je quittai enfin ce lieu. Ce fut pourtant la fin, en accélérée, de mon enfance (car jusque là j'avais plutôt eu de la "chance" -relativement, si je compare aux détresses que j'y découvris-). J'avais ouvert les yeux sur le monde -le monde réel- dont j'ignorais tout et ne l'ai jamais oublié.
Voir ici http://femmesavenir.blogspot.com/2015/06/lecole-normale-dinstitutrice-et-le.html
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