mercredi 9 novembre 2011

Maltraitance "blanche"

Extraits de "Secret de famille" Frison-roche éditeur (Hélène Larrivé). 

Il y a plusieurs formes de maltraitance dont la plupart passent inaperçues. Certains parents ne désirent pas [ou plus] leurs enfants. Qu'ils l'avouent ou non, ils leur pèsent, bien qu'ils  continuent à s'en occuper normalement en apparence mais comme une corvée que l'on cherche à alléger autant qu'il se peut. Les causes peuvent être internes, ils ne les ont jamais vraiment souhaités, ou fortuites, ils les ont regrettés à la suite de circonstances de la vie imprévues, un stress particulier, une série de catastrophes familiales (ou perçues comme telles), une mésentente du couple, des carrières exigeantes etc.. Il est des hommes qui sont plus maris que pères et des femmes, moins fréquemment, plus épouses que mères; en ces cas, lors d'une séparation, la rupture se fait naturellement avec les enfants, soit réelle, soit seulement affective; soit de la part d'un seul parent, soit des deux, les gosses étant perçus comme la trace ombrée du conjoint rejeté ou rejetant que l'on veut oublier afin de prendre "un nouveau départ dans la vie". 

Cela n'apparait pas toujours ou seulement à l'occasion de drames car cette maltraitance est une maltraitance en pochoir, simplement, "on" n'a pas pensé que.. Une famille par exemple qui n'a pas manqué d'acquérir la dernière alarme sophistiquée n'a pas eu l'idée de faire chanfreiner les piques du portail, d'installer un garde corps dans la salle de jeux des gamins etc.. Sans être vraiment mal aimés, ceux-ci passent toujours au second plan voire au dernier : on déménage -la carrière des parents- on prévoit "tout".. sauf l'enfant et on s'aperçoit in extremis qu'il n'y a pas de lycée à moins de 50 km (qu'importe, il sera interne).. ou que l'établissement est de tendance catho hard alors que la famille est impliquée dans des mouvements progressistes -le père est journaliste-, qu'importe il faut savoir affronter la vie etc.. C'est ainsi que ce "fils de rouges" va devenir le bouc émissaire de ses camarades briefés, un harcèlement qu'il subit dans l'indifférence voire l'initiation des professeurs*. Il y a aussi, pour les plus favorisés, la pension chic qui relaye (lien), souvent assez éloignée, comme par précaution, sous prétexte de bon air et de nature.

Lorsque la vie commune perdure malgré tout, parfois pour des raisons strictement matérielles, il arrive que les enfants en fassent plus durement encore les frais même si extérieurement ils semblent bien traités. On les soigne par habitude comme on prend soin d'un objet dont on a fait autrefois l'acquisition à l'étourdie et qui à présent encombre. Sans empathie véritable, d'où des couacs qui semblent invraisemblables dans des milieux au dessus de tout soupçon. 

Il y a ceux qui n'oublient jamais de leur donner leurs vitamines mais les laissent jouer au dernier étage de leur appartement -luxueux- dans une coquette sous-pente... sans garde-corps ! Ceux qui les confient tout petits -un mois pour le dernier né!- à une employée récente pour partir voyager à l'étranger. Il y a aussi le cas extraordinaire de l'homme dont la femme était hospitalisée en psychiatrie, incurable, qui éleva convenablement seul son fils... qu'il abandonna dès que celui-ci eut 18 ans, mission accomplie. Le jeune garçon dut alors vivre dans une cave et se nourrir au supermarché, situation qui fut tardivement découverte par un prof ; celui qui refuse le soir d'aller à 20 km chercher sa fille (15 ans) qui a raté le dernier car, elle devra les parcourir à pied et manquera de peu se faire violer; ou ceux qui les envoient faire les commissions à la nuit tombée, "c'est tout près". Ces cas-là, jamais investigués, participent cependant d'une maltraitance blanche réelle qui parfois peut générer des drames -et c'est uniquement relié au hasard- car à ce jeu de roulette russe, il arrive que parte le coup. C'est le drame, le "pas de chance" comme ont dit, formule qui cache parfois les risques qu'on a délibérément laissé courir à l'enfant.

A la base de tout accident, il faut toujours se demander "pourquoi"? Pourquoi cette petite de 8 ans était-elle dans cette ruelle à 20 heures? Parce que ses parents avaient l'habitude de se détendre le soir autour d'un verre après une journée de travail et qu'ils l'avaient diligentée pour une pizza de dernière minute. Pourquoi cette adolescente a-t-elle été contrainte d'escalader ce mur hérissé de tessons tranchants? Ce portail aux piques acérées? parce qu'ils refusaient de lui donner les clefs, à quoi bon, elle risquait de les perdre et ils étaient toujours là... enfin presque. Parce que personne n'avait pensé à faire chanfreiner les piques alors que la maison était au top confort pour tout le reste. Pourquoi cette jeune fille était-elle sur une route non éclairée un soir d'hiver depuis deux heures de temps lourdement chargée, épuisée? Parce que son père ne se souciait pas de perdre une heure pour aller la chercher. On incrimine la fatalité, l'agresseur. Certes, mais il y a aussi la désinvolture, l'égoïsme des adultes et devant le drame, on ne va pas au delà, inutile de les accabler davantage.

On est stupéfait en ces cas des explications-justifications des parents éplorés frisant l'imbécillité ou la mauvaise foi. "On leur avait bien dit pourtant de ne pas s'approcher du bord, ils n'écoutent jamais!".. "Le quartier est tranquille, il n'y avait aucun risque (!) et puis c'était tout près, 300 mètres à peine".. "Je suis presque toujours là, je ne voulais pas lui confier les clefs, elle est étourdie, on pourrait être cambriolés"... "Mais on ne peut pas grimper sur le portail, il est trop haut, je ne comprends pas".. "Il nous fallait un petit voyage pour nous reposer, la bonne avait l'air très bien, elle avait eu plein d'enfants, on a eu confiance, qui pouvait se douter?".. "Il a fallu qu'elle rate son car ce soir, ça ne m'arrangeait pas mais je serais venu de toutes manières si elle avait attendu, c'était juste un mouvement d'humeur, j'étais crevé" [il lui avait dit "débrouille-toi"]. Mais le risque à attendre sur des quais d'assez mauvaise réput et déserts dès le lycée fermé était équivalent.

Rappelons que lors d'une affaire qui défraya la chronique, la mère avait soigneusement fermé ses fenêtres pendant qu'elle repassait, radio en marche, pour éviter avait-elle dit les voleurs -elle venait de faire l'acquisition d'un objet de prix- en laissant son enfant jouer seul dehors sans qu'il lui soit possible de le voir ni de l'entendre. Aurait-elle ainsi laissé son nouveau poste TV à écran plat pour lequel elle avait tout verrouillé? 

Oui, l'enfant ne "pouvait pas" grimper sur le portail et il l'a cependant fait.. et en est mort. Oui, c'était "tout près, juste 300 m" mais 300 m dans une ruelle déserte, c'est énorme et elle a fait une mauvaise rencontre.. idem. Oui, 20 km à pied ce n'est pas la mort (4 à 5 heures tout de même) mais l'adolescente a été repérée par un violeur. Oui, "on leur avait bien dit de ne pas s'approcher du bord" mais l'un d'eux l'a fait tout de même. Idem. Oui la "bonne" paraissait "très bien", elle avait certes élevé ses propres enfants (au Mali) mais ne savait pas se servir de l'électricité et a électrocuté le dernier-né dans son bain. Oui, la télé à écran plat n'a pas été repérée mais le bambin, si.. Et lui aussi en est mort etc.. 

*Ce cas est mien. J'ai fini, à bout de subir des propos ostracistes-racistes quotidiens, par littéralement "sauter" sur une fille qui m'insultait et la jeter à terre, comme en état d'amok. L'attaque avait été si vive et si soudaine qu'elle n'avait rien vu venir. Ni moi. Je la rouais de coups, on dut me ceinturer puis me conduire, durement encadrée comme une bête fauve, chez la proviseure, une belle femme glaçante qui  me questionna avec un indicible mépris tout en feuilletant mon livret scolaire. Petit à petit, le ton changeait imperceptiblement, et lorsqu'entra ma "victime" qui avait la tête de plus que moi, elle ne put cacher sa stupéfaction. "Vous êtes aussi bonne en gym?" "Non, pas vraiment, je suis trop petite", et elle eut enfin un quart de sourire tant la disproportion de nos carrures était impressionnante. La chance pour moi fut qu'elle s'appelât Dreyfus. Je fus rayée du tableau d'honneur, renvoyée trois jours et reprise sous condition d'excellence. Ma mère me soigna alors comme un cheval de combat et la férocité avec laquelle je vis ma challenger, lors de l'épreuve qui devait nous départager, trop lourde, glisser à bout d'épuisement de la corde lisse sans avoir réussi à toucher le nœud, se brûlant cuisses et mains, demeure encore en ma mémoire. J'avais perdu mon innocence mais gagné le défi. Le prix me fut remis en grande pompe. C'était "l'affaire Dreyfus".

Note. Si personne ne m'avait défendue lorsqu'on me harcelait, en revanche, après la bagarre, personne ne m'ennuya plus jamais.

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